AFP : « Emil Cioran, philosophe du désespoir, aurait eu cent ans ce vendredi »
vendredi 08 avril 2011
De Myriam CHAPLAIN-RIOU (AFP)
PARIS — Aristocrate du doute et dandy métaphysique, l’écrivain roumain d’expression française Emil Cioran, mort à Paris en 1995, aurait eu cent ans le 8 avril et ce styliste du désespoir, qui avouait préférer « la tombe au bâillement », aura forgé une philosophie teintée d’humour noir.
Né à Rasinari, en Transylvanie, ce fils de pope orthodoxe vit jusqu’à 26 ans en Roumanie, où il publie ses premiers livres, « Sur les cimes du désespoir » à l’âge de 22 ans, puis « Des larmes et des saints », qui fait scandale dans son pays.
A l’époque, le jeune Cioran se laisse enivrer par le nationalisme, l’hitlérisme d’abord, puis la Garde de fer, mouvement fasciste créé en Roumanie. Une « faute », selon ses propres mots, qui fondera cependant l’œuvre à venir. « J’avais haï mon pays, tous les hommes et l’univers. Il me restait de m’en prendre à moi: ce que je fis par le détour du désespoir ».
Alors que le chaos s’installe dans son pays, il quitte la Roumanie en 1937 grâce à une bourse d’étude puis s’installe définitivement en France.
A la suite de l’interdiction de ses œuvres par le régime communiste, il abandonne le roumain en 1947 et écrit désormais en français, dans une langue ciselée où son goût pour l’aphorisme s’allie à un certain lyrisme. « Le style, si je m’y suis tant intéressé, c’est que j’y ai vu un défi au néant », écrit-il dans ses « Cahiers ».
Bien que demeurant en France jusqu’à sa mort, il ne demandera jamais la nationalité française.
Proche d?Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Henri Michaux ou Fernando Savater, sa philosophie a été inspirée par Nietzsche, Schopenhauer ou encore Kierkegaard.
Les titres des livres de cet insomniaque chronique annoncent la couleur de son oeuvre. Et c’est une noirceur teintée de lucidité : « Précis de décomposition », publié en 1949, « Syllogismes de l’amertume », « De l’inconvénient d’être né » ou « La tentation d’exister »… Son dernier ouvrage, « Aveux et anathèmes », est publié en 1987.
Dans un essai en forme d’hommage, qui vient de paraître, « Cioran, éjaculations mystiques » (Le Seuil), Stéphane Barsacq ne cache rien de l’épisode antisémite du jeune Cioran, ni du regard cynique de ce grand séducteur qui écrivait: « La dignité de l’amour tient dans l’affection désabusée qui survit à un instant de bave » ou « L’orgasme est un paroxysme. Le désespoir aussi. L’un dure un instant. L’autre, une vie ».
Dans ses écrits, Emil Cioran relate aussi ses nuits d’insomnies, ses longues promenades nocturnes.
Il habite durant plusieurs décennies une mansarde du quartier de l’Odéon, sa tour d’ivoire, d’où il décline les honneurs littéraires, comme en 1988 le Grand prix Paul Morand, décerné par l’Académie française.
Resté pauvre, il continuera à fréquenter le restaurant universitaire jusque vers 40 ans avant de s’en voir interdire l’accès. Un épisode qu’il vivra douloureusement.
Après une dizaine d?ouvrages diversement salués par la critique, la publication posthume, en 2009, de son livre « De la France » recueille un succès international. « J?ai connu toutes les déchéances, même le succès », aimait-il à dire.
Sans jamais être retourné dans son pays natal, il meurt, en 1995, à Paris.
Epilogue de dix ans de procédure, la cour d?appel de Paris vient de trancher en faveur d’une brocanteuse, qui se battait pour la propriété matérielle des manuscrits de Cioran retrouvés dans son appartement. Certains d’entre eux seront vendus aux enchères jeudi à Drouot Richelieu, ainsi que des documents personnels.
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