Contre les murmurateurs
Le traité De aeternitate mundi, que Thomas d’Aquin dut rédiger en 1270 à Paris, est un texte singulier à plusieurs égards, mais aussi un témoin parmi d’autres d’une vaste polémique. Singulier dans l’œuvre de l’auteur, car il constitue un texte de circonstance, répondant à des questions disputées au sein de l’Université.
Singulier aussi parce que Thomas y défend un point de vue presque paradoxal : bien que la foi enseigne le commencement du monde dans le temps, aucun argument ne permet de l’établir, et paraît plutôt capable de démontrer qu’il aurait été possible à Dieu de créer un monde éternel, l’idée de création n’impliquant pas celle de commencement. Singulier enfin parce que, ce faisant, Thomas s’oppose davantage à ses confrères théologiens, notamment franciscains, qui lui semblent soutenir la thèse adverse avec de mauvais arguments, qu’aux philosophes de la faculté des arts, accusés semble-t-il depuis peu par certains théologiens de se ranger à la conception aristotélicienne de l’éternité du monde. Le ton est plus passionné qu’à l’accoutumée et rend ce petit texte remarquable. Cela dit, on l’aura compris, la question débattue dans ce court texte s’inscrit dans un contexte d’oppositions doctrinales, où se trouvent en désaccord les plus grands théologiens de la deuxième partie du XIIIe siècle. Même si un tel débat n’est pas absolument nouveau, il prit à cette époque une intensité particulière.
Il faut dire simplement, selon la foi, que ce qui a été fait par Dieu, n’a pas existé toujours : parce qu’admettre cette supposition, serait admettre l’existence d’une puissance passive, ce qui est une hérésie. Il ne s’ensuit pourtant point que Dieu ne puisse pas faire qu’un être ait toujours été.