Le Jeu de Rabelais
Michel BeaujourLe Jeu de Rabelais, qui fut l’un des premiers livres publiés par les Éditions de L’Herne en 1969, était introuvable depuis des années. Cette nouvelle édition est maintenant enrichie d’une préface du professeur Tom Conley de l’Université de Harvard, et d’une postface dans laquelle Michel Beaujour présente une mise à jour des études rabelaisiennes. Au moment de son décès, Michel Beaujour préparait un ouvrage sur la poétique comparée, et plus particulièrement sur les poétiques de cultures sans écriture.
La lecture de « Gargantua » et « Pantagruel » inspire l’angoisse. Par le rire : car rien n’est moins léger que de rire noir de la négation face au sérieux. Le refus cynique du Savoir est-il un moment de la dialectique qu’un optimisme facile nous encourage à croire orientée vers plus de lumière ? Mais s’agit-il d’interpreter Rabelais ou bien de le « lire » ? Le fait est qu’on le lit peu, et mal. Chacun s’empresse de le traverser comme un hall de gare vers Dieu sait quelles destinations. Certains y voient une étape décisive dans l’avènement de la Raison et de la Liberté. Ils y trouvent l’antidote des contraintes sexuelles, religieuses qui ont pesé sur leur adolescence, et notre passé : ce n’est pas un mince paradoxe de notre histoire littéraire que le livre favori des instituteurs laïques et de ceux qui partagèrent leur idéologue soit également un livre réputé « cochon », un livre censuré… Un livre enfn ou d’autres croient trouver l’expression du plus authentique christianisme.
Extrait : « Car c’est bien de cela, et uniquement de cela, qu’il s’agit au fond dans Le Jeu de Rabelais. Il s’agit de savoir, ou de ne pas savoir, lire un texte littéraire comme tel, c’est-à-dire comme dispositif sémiotique artistique. Ce qui défnit le «rabelaisant», en tant que mauvais critique érudit du texte rabelaisien, c’est son incapacité à saisir et apprécier la spécifcité, l’arrangement intrinsèque d’un très étrange et peut-être unique monument littéraire, qui n’est pas une occurrence parmi d’autres de la satire Ménippée, ni un exemple de satire lucianique, et certainement pas un cas d’évangélisme anamorphosé comme le prétendent ces pieux savants. Ces romans rabelaisiens, on peut donc les appeler, selon les catégories de l’ancienne poétique, « une épopée comique en prose », comme le faisait Fielding de son roman Tom Jones, une épopée trufée au demeurant d’éléments discursifs et sapientiels, comme l’est le Roman de la Rose de Jean de Meun, mais en bien meilleur : en plus drôle et plus déroutant, en plus noir et en plus débordant. Ce texte saugrenu et charnu, les rabelaisants s’eforcent toujours de le « traverser » pour parvenir au « sens ». Ils n’ont de cesse qu’ils aient mis sous rature ou écarté le texte afn de bricoler avec son absence une signifcation « intertextuelle » ou « allégorique » qui leur convient. Et le rabelaisant fera dire à Rabelais ce qu’il (ou elle) veut lui faire dire, quelle que soit la résistance que lui oppose le texte par sa complexité et son épaisseur. »
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